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Des tendances perturbatrices (« disruptive ») en éducation

Une présentation créée dans Microsoft Sway intitulée Disruptive Trends in the Education Industry (compte et authentification Microsoft Office 360 requis pour visionner) fait état de changements préoccupants pour les universités. Plusieurs de ces tendances ont déjà été identifiées dans le passé, mais cette nouvelle liste confirme leur influence et nous montre celles qui ont duré.

Voici les 9 tendances que l’auteur répertorie avec un bref commentaire pour chacune. Une brève analyse générale suivra les 9 tendances.

1. La montée du professeur vedette (rockstar teacher).

La diffusion libre de cours sur le Web, que ce soit par le biais des MOOCs ou autrement, permet à des professeurs ou à des chargés de cours talentueux de se faire connaître partout dans le monde. Cela crée un marché comparable à celui des agents libres dans le sport professionnel, où la valeur marchande des conférences et de l’embauche des ces personnes augmente par renchérissement.

2. Les camps d’entraînement (boot camp) de 10 semaines en développement de logiciels sont lancés à un rythme effréné.

De nombreux programmes intensifs de 10 à 12 semaines ont émergé ces dernières années pour préparer les participants à travailler dans le domaine du développement de logiciels. Ils sont surtout localisés dans les grandes villes américaines où sévit une pénurie de travailleurs qualifiés. Pour 6000$ à 10000$, ces camps mènent à une embauche dans le domaine à plus de 90% des diplômés pour des salaires annuels moyens de 84000 à 100000$, en fonction des marchés locaux. Certains camps ne prennent leur paiement qu’après que le diplômé se soit trouvé un emploi. Il faut dire que ces programmes intensifs, qui sont habituellement orientés sur un langage de programmation et un système d’exploitation dans des créneaux à la mode, ne forment pas des travailleurs polyvalents dans leur domaine.

3. La formation en ligne gagne rapidement en crédibilité.

L’auteur tire cette conclusion en observant la vitesse à laquelle les universités prestigieuses développent leur offre de programmes en ligne, donnant une légitimité à ce mode de formation.

4. La croissance explosive de la production de films documentaires alimente l’écosystème de contenus éducatifs.

L’auteur ne commente pas cette affirmation. Il ne fait qu’ajouter des vidéos ou des canaux Web de documentaires en exemple.

5. L’éducation identifiée à une marque.

Les écoles et programmes commandités par une marque sont en croissance. Dans les exemples fournis par l’auteur, on peut en identifier divers types, notamment :

  • L’entreprise qui veut former des travailleurs qualifiés pour opérer ses produits. Par exemple, Cisco avec ses équipements de réseautique.
  • L’entreprise qui veut former davantage de travailleurs qualifiés pour combler ses propres besoins dans les secteurs en pénurie de main-d’oeuvre. Un exemple (non cité par l’auteur) est Google, qui fait former des développeurs de logiciels. D’autres commanditent des programmes universitaires en marketting et en communication (Red Bull) ou fondent leur propres écoles (Benetton). Une grande maisons de bijoux quant à elle veille à la formation d’artisans pour son industrie (Maison Van Cleef & Arpels).
  • L’entreprise de divertissement qui fait un partenariat avec une université pour bâtir un MOOC sur le thème de son produit. Par exemple, un MOOC de l’Université de Californie à Irvine sur l’émission de science fiction très populaire The Walking Dead et sur les thèmes abordés dans la série, commandité par la chaîne qui produit la série.
  • L’entreprise média qui utilise sa crédibilité dans son domaine de prédilection pour lancer une école spécialisée. Exemples : Forbes et son école des affaires ou Vogue et son école de la mode.

6. Les entrepreneurs du domaine de l’éducation perturbent rapidement et globalement l’industrie.

L’auteur donne en exemple la Khan Academy, mais aussi l’entreprise Big Picture Learning qui fait des partenariats publics-privés avec des collèges et universités pour offrir des programmes centrés sur la pratique et la reconnaissances des acquis d’expérience.

7. Les abonnements à des boîtes de contenu sélectionné représentent un retour aux cours par correspondance.

L’auteur ne donne aucune explication, il ne fait que montrer des images de certaines de ces boîtes. Il s’agit d’abonnements à recevoir périodiquement une boîte de matériel non déterminé d’avance, mais choisi à chaque fois par une personne spécialiste d’un thème ou d’un domaine déterminé dans l’abonnement. À mon avis personnel, le lien avec le cours par correspondance est ténu.

8. Les stages virtuels gagnent en crédibilité.

Puisque le télétravail est maintenant répandu, le « téléstage » en est un prolongement logique. Près d’ici, notons par exemple que la TÉLUQ offre la possibilité de stages à distance dans ses programmes de 2ème cycle du domaine de l’éducation depuis plusieurs années.

9. Le futur est présent : les tuteurs par intelligence artificielle.

L’évaluation automatisée progresse. Il existe maintenant des tuteurs informatisés artificiellement intelligents qui peuvent analyser le travail d’un étudiant et lui faire des recommandations précises et pertinentes.

Analyse

Plusieurs de ces tendances sont aujourd’hui surtout tangibles aux États-Unis. Même si les conditions qui ont fait émerger ces tendances aux États-Unis ne sont pas toujours présentes hors de leurs frontières, il ne s’écoule jamais très longtemps avant que les innovations se répandent ailleurs dans le monde. Pensons aux MOOCs qui ont émergé dans un contexte de faible accessibilité aux études post-secondaires aux États-Unis, mais qui ont été ensuite repris ailleurs. En règle générale, les premiers établissements à adopter ces innovations sont ceux qui en bénéficient le plus. Toujours sur l’exemple du MOOC : la première institution à lancer un MOOC dans un pays en retirera bien plus de retombées immédiates que la cinquième à le faire.

Les programmes privés ou commandités, populaires parce que accessibles et très proches de la pratique, mais parfois au prix d’être un peu myopes, posent la question de la différentiation de la formation universitaire. Là où le privé mise sur ce qu’on pourrait appeler de la formation professionnelle intensive de haut niveau, comment l’université se positionne-t-elle? Plusieurs réponses sont possibles et elles ne sont pas mutuellement exclusives :

  • offrir aussi de telles formations brèves et concentrées;
  • offrir et promouvoir de la formation continue bien ciblée pour élargir les horizons de ces travailleurs ultra-spécialisés;
  • mettre en valeur les atouts d’une formation universitaire plus longue, intégrant davantage de théorie et le développement compétences transférables à des situations plus diversifiées (polyvalence, compétences plus conceptuelles, etc);
  • adapter certains aspects de ses programmes pour mieux répondre aux préoccupations dont sont issues ces 9 tendances, sans pour autant se transformer complètement et abandonner leurs autres visées.

Il transpire de ces 9 tendances une logique économique : répondre rapidement aux demandes du marché, saisir une occasion d’affaires ou profiter d’une valeur marchande en éducation, améliorer la productivité en éducation. L’Université peut s’adapter et répondre à ces tendances : pour s’améliorer là où elle le doit, pour être de son temps, pour demeurer bien branchée à la société ou pour se protéger face à des menaces. Mais elle a beaucoup à perdre si elle adopte intégralement cette logique économique de gain à court terme. Beaucoup d’organisations s’occupent fort bien de la logique économique, mais peu s’occupent d’érudition et de quête intellectuelle hors de l’Université. S’il y a une certaine place pour le « moi aussi» face aux tendances, la promotion de la valeur intrinsèque des programmes universitaires et de leurs avantages est une autre réaction qui ne doit pas être négligée. Les deux approches peuvent être complémentaires.

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