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Diplômés mal formés et pas beaucoup mieux payés : le scénario américain se répète-t-il au Canada?

L’institution universitaire n’a pas eu bonne presse cette semaine.  D’après l’étude Salaires et taux d’emploi à temps plein des jeunes titulaires d’un diplôme d’études secondaires et des jeunes titulaires d’un baccalauréat, 1997 à 2012  de Statistique Canada,

« [l]es jeunes diplômés du secondaire, âgés de 20 à 34 ans, ont haussé leur salaire horaire pour le faire passer de 68 % à 75 % de celui gagné par leurs congénères détenteurs d’un baccalauréat.

Les femmes du même âge ont également rétréci cet écart, faisant passer leur salaire horaire de 64 % à 68 % de celui d’une détentrice d’un baccalauréat du même âge au cours de la période.

L’essor du secteur pétrolier des années 2000 et l’augmentation marquée du nombre relatif de titulaires d’un baccalauréat sont notamment responsables du rétrécissement de cet écart dans la rémunération horaire en dépit de l’écart de scolarisation. » (SRC 2014, notre emphase)

Si c’est une bonne nouvelle pour les études secondaires, ça l’est moins pour ceux qui visaient le diplôme universitaire afin d’améliorer leurs perspectives de revenus.  L’ampleur de cette augmentation du nombre de diplômés sur le marché est précisée dans un article du Devoir:

“En appliquant le simple principe de l’offre et de la demande, s’il y a plus de diplômés universitaires sur le marché, il est normal que cela influe sur les salaires, soutient Mme [Marie] Connolly [professeure adjointe au département des sciences économiques de l’UQAM]. Toujours selon l’étude, au cours de la période observée, le nombre de diplômés ayant un baccalauréat s’est accru de 42 % chez les femmes et de 30 % chez les hommes, tandis que cette augmentation pour les détenteurs d’un DES était respectivement de 5 % et de 16 %.” (Gervais, 2014, notre emphase)

Par ailleurs, un autre étude – celle du Programme d’évaluation internationale des compétences des adultes (PEICA) – tend à démontrer que près d’un étudiant universitaire sur 5 (18,3 %) au Canada est sous le niveau moyen (3) de littératie et de numératie reconnu par l’OCDE.  Des chiffres de Statistique Canada datant de l’automne dernier sont encore plus sombres:

«Selon le rapport qu’en faisait Statistique Canada cet automne, 27 % des diplômés universitaires et 47 % des diplômés d’études postsecondaires se situent sous le seuil critique en matière de littératie, contre respectivement 31 % et 54 % en matière de numératie. » (Desrosiers, 2014)

Le journaliste précise ce que ce “seuil moyen” signifie:

« En matière de littératie, cela correspond, entre autres, à la capacité de lire et de comprendre l’information contenue dans les journaux. En matière de numératie, il s’agit de comprendre de l’information mathématique présentée sous différentes formes (nombres, textes ou graphiques) et d’effectuer des opérations de résolution de problèmes. Dans les deux cas, il s’agit du niveau minimal de compétences souhaité pour obtenir un diplôme d’études secondaires et occuper un emploi de base.» (Desrosiers, 2014)

Josée Boileau, éditorialiste du Devoir, s’inquiète: « Être au niveau moyen signifie comprendre un texte long mais pas trop complexe ou la signification de statistiques. Des compétences que l’on est en fait en droit d’attendre de toute personne qui finit le… secondaire. On aurait plutôt cru que tous les universitaires atteindraient le niveau élevé qu’on associe spontanément à une telle scolarité. » (2014)

Claude Lessard, président du Conseil supérieur de l’éducation, renchérit:

« Le fait qu’on puisse encore obtenir un diplôme universitaire sans maîtriser les compétences de base lui apparaît complètement incompréhensible. « Il y a quelque chose qui ne marche pas, là ! Ce n’est pas normal, dit l’ancien doyen de la Faculté des sciences de l’éducation de l’Université de Montréal . Les universités ont un sérieux examen de conscience à faire sur leurs pratiques, notamment sur leurs méthodes d’évaluation. » (Desrosiers, 2014)

Josée Boileau est encore plus cinglante: « Laxisme des établissements d’enseignement d’abord, qui persistent à faire progresser dans le système, même jusqu’à l’université, des jeunes qui ne maîtrisent pas les codes élémentaires de lecture, d’écriture et d’arithmétique. Un phénomène connu du milieu scolaire, mais dont personne ne tient vraiment à parler. »

En résumé, aller à l’université ne correspond plus à un salaire significativement plus élevé et n’assure plus de développer la littératie et la numératie à des niveaux élevés.  Rien de bon pour l’attractivité de cette institution, à l’heure où la courbe démographique s’annonce à son plus bas.

Ce qui frappe, c’est à quel point ces critiques adressées à la formation universitaire sont les mêmes que l’on voit dans la presse américaine depuis quelques années.  Qu’on pense à ces articles où des économistes évaluent s’il est rentable d’effectuer des études supérieures, compte tenu de l’endettement afférent, et aux études qui tendent à démontrer que des étudiants qui sortent de l’université n’ont pas davantage d’habiletés fondamentales que lorsqu’ils y sont entrés.  Bien que le coût des études au Canada demeure significativement plus bas, la perception du grand public risque d’aller dans le même sens.

Sources:
Boileau, Josée, « DIPLÔMÉS ANALPHABÈTES – Jusqu’à l’université… », Le Devoir, 28 avril 2014
Desrosiers, Éric, « Travailleurs diplômés peinant à lire et à compter », Le Devoir, 26 avril 2014
Gervais, Lisa-Marie, “Le salaire des diplômés du secondaire rattrape peu à peu celui des bacheliers“, Le Devoir, 29 avril 2014
Société Radio-Canada, « S’instruire pour s’enrichir… de moins en moins vrai », Nouvelles – Société, 28 avril 2014

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Jean-Sébastien Dubé

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