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Examen de conscience pour les universités allemandes

La majorité des universités de recherche du monde occidental ont été créées sur le modèle de l’Allemand Wilhem von Humbold : liberté académique et recherche scientifique au cœur de l’enseignement supérieur.

Un article du Chronicle of Higher Education, publié le 25 février dernier, nous apprend que les Allemands accordent une grande importance au titre de Ph.D., car ce titre est synonyme de mérite personnel, une preuve de détermination, de volonté et de persévérance pour mener à terme des études de haut niveau sur un sujet spécifique.

De plus en plus de professionnels et de politiciens, font des études doctorales afin de s’attirer l’estime, la considération, le respect… que confère le titre de Ph.D., trois lettres qui donnent de la « noblesse ».  Cet engouement pour le titre se manifeste dans le fait que l’Allemagne (82 millions d’habitants) est le pays qui octroie le plus de Ph.D. per capita au monde : 25 000 par année depuis 2000; en comparaison, les États-Unis (314 millions d’habitants) en octroie 50 000 par année.

Que deux ministres du gouvernement Merkel (Karl-Theodor zu Guttenberg à la Défense, et Annette Schavan, à l’Éducation), tous deux détenteurs d’un Ph.D., aient été accusés de plagiat dans leur thèse de doctorat a heurté l’opinion publique. Selon des experts en éducation, ces cas de plagiat soulèvent beaucoup plus de questions sur le système de l’éducation et sur les universités allemandes que sur le système politique, car ils jettent un doute sur la qualité des pratiques d’encadrement et la valeur des diplômes octroyés par certaines universités, notamment aux personnes qui ne se dirigent pas vers une carrière de chercheur.

L’article mentionne que la majorité des politiciens et des professionnels empruntent des parcours de formation fort différents de ceux qui visent à former des chercheurs spécialisés (scholars).  Ainsi, ces étudiants sont inscrits dans des programmes de doctorat qui n’exigent pas de résidence, qui n’offrent pas de cours ni de séminaires réguliers avec évaluations formelles.  Les étudiants identifient un superviseur, paient des frais de scolarité (minimes) et rédigent un travail de l’ampleur d’un livre, un travail sur lequel le superviseur a habituellement eu peu à dire.  Cette « thèse » est évaluée (NDLR : l’article ne dit pas par qui) et, si elle est acceptée, soutenue.  On est en droit de se demander s’il s’agit toujours d’un doctorat de recherche…

Le système universitaire allemand défend la quantité et la qualité des diplômes octroyés en arguant que chaque projet de Ph.D. porte sur une question spécifique et produit de nouvelles connaissances destinées au monde spécialisé et au grand public.  Tout en reconnaissant que le système allemand n’est pas sans faille, le porte-parole de l’Association allemande des professeurs et maîtres de conférences affirme que les irrégularités au niveau le plus haut des études universitaires sont rares et va jusqu’à dire [f]ew of the recent plagiarism cases, he adds, have involved authentic scholars.  L’honneur des universités allemandes est-il sauf pour autant?

D’autres croient que la situation est beaucoup plus grave que ne veulent l’admettre les administrateurs universitaires.  Ils imputent l’aggravation à certains éléments de contexte.

  • Le nombre de diplômes octroyés entre dans le calcul du financement des universités et est comptabilisé dans les enquêtes permettant de classer les universités.
  • La quantité d’étudiants dirigés entre dans l’évaluation des demandes de subventions de recherche.  On peut aisément postuler que le nombre de thèses à évaluer a augmenté en conséquence alors que le temps pour les évaluer, lui, n’a pas augmenté, au contraire.
  • Les relations entre les directeurs de recherche et les étudiants qu’ils dirigent ne sont pas toujours aussi professionnelles qu’elles devraient l’être et la vigilance par rapport aux exigences peut alors baisser.  On fait confiance…

À l’instar d’autres pays, comme le Canada, par exemple, le système de l’éducation allemand n’est pas de juridiction nationale; par conséquent des réformes nationales sont très peu probables.  Le Conseil allemand des sciences et des sciences humaines, qui a un rôle d’aviseur, a fait des recommandations aux gouvernements central et régionaux, dont l’implantation de comités d’encadrement.

Certaines universités, en particulier celles qui ont été au cœur des plagiats, se sont dotées d’un logiciel de détection de similitudes dans le texte.  D’autres font signer une déclaration d’intégrité, ont revu les balises pour l’évaluation de la thèse, instauré des séminaires sur la méthodologie en recherche…   Mais pour Debora Weber-Wulff, professeure en génie à l’université de Berlin et auteure de nombreux articles sur le plagiat, c’est trop peu.  Elle recommande la création d’un organisme central qui qui chapeauterait les universités et qui procéderait à des tests aléatoires sur la qualité des travaux universitaires.   C’est aller trop loin, clame l’Association allemande des professeurs et maîtres de conférences, qui a refusé l’instauration d’au moins deux évaluateurs externes pour la thèse et la création de comités d’admission pour les candidatures doctorales.

Entre-temps, la professeure Debora Weber-Wulff et un petit groupe de bénévoles ont créé VroniPlag Wiki, un forum en ligne qui évalue essentiellement des thèses à la recherche de plagiat, à la suite de signalements.   Par ailleurs, Weber-Wulff entretient également le blogue Copy, Shake, and Paste.  Elle y fait état de ses travaux et des “découvertes” de VroniPlag sur le plagiat.

La chasse aux thèses plagiées est ouverte en Allemagne et elle force les universités allemandes à un examen de conscience.

Source:

Hockenos, Paul.  High-Profile Plagiarism Prompts Soul-Searching in German UniversitiesChronicle of Higher Education.  25 février 2013.  (article accessible aux abonnés seulement)

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Sonia Morin

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