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Les universités françaises sont-elles aptes à traiter les cas de thèses plagiées? (Mise à jour : 16 mai 2012)

Un cas de thèse plagiée fait la manchette depuis un moment en France.  Si justice vient d’être rendue, elle l’a été par les tribunaux, et non par les universités impliquées.

Le tableau suivant  détaille l’historique de la situation.

1994 Bénédicte Bévière obtient un DEA
1996 Bénédicte Bévière obtient un doctorat en droit privé de l’Université de Rennes 1.

  • Edmond le Borgne fait partie du jury.
1998 Edmond le Borgne soutient une thèse en  médecine légale de la Faculté de médecine d’Angers

  • où il a soutenu un an après son inscription
  • directeur de recherche : professeur Serge Fanello, médecin de santé publique et  praticien hospitalier
87/126 (69%)pages copiées de la thèse de Bévière
2000 Edmond le Borgne soutient une thèse en droit privé à l’Université de Lille 2

  • où il a soutenu 5 mois après son inscription
  • directeur de recherche : Xavier Labbée, directeur de l’Institut du droit et de l’éthique à l’Université Lille 2 et avocat
182/284 pages (64,1%)contiennent des emprunts de la thèse de Bévière
2002 Bénédicte Bévière découvre les plagiats dans les deux thèses de le Borgne.

  • Elle le signale aux deux universités concernées, qui ne réagissent pas.
  • Elle le signale à la maison d’édition, qui ne réagit pas non plus.
2009 Arrêt de la Cour d’appel de Paris
2010 Arrêt de la Chambre criminelle de la Cour de Cassation :Jugement du Tribunal de la Grande instance de Paris :

  • 3 ans de prison
  • 20K euros de dommages et intérêts…
  • Radiation du Barreau
2011 Convocation de le Borgne par les deux universités dans la perspective d’une annulation des deux thèses

Ce que le tableau laisse entrevoir, c’est l’absence d’action des deux universités une fois qu’elles ont été mises au courant du plagiat.  […]  dans le strict cadre universitaire où ce problème de thèses-plagiats aurait dû trouver une solution rapide et radicale sous la forme de convocations de commissions disciplinaires et d’annulations des deux thèses-plagiats dénoncées par Bénédicte Bévière. En clair : les universités auraient dû enquêter.

  • Pendant 8 ans, Bévière défendra sa cause pour obtenir justice.
  • Pendant 8 ans, le Borgne sera soutenu par des universitaires en exercice, la majorité des spécialistes en éthique.

Il faudra des jugements de cours et la mise en circulation du cas pour que les deux universités convoquent le Borgne dans une perspective d’annulation des deux thèses plagiées.

Ce que le texte de Jean-Noël Darde ne dit pas pour expliquer, du moins en grande partie, l’absence d’action des universités, c’est que lorsqu’on découvre du plagiat dans une thèse ou un article, ou un ouvrage scientifique, c’est tout le travail du directeur de recherche, des membres du jury ou du comité de pairs qui est discrédité.  Le sujet fâche, ou gêne, comme dirait Michelle Bergadàa.

Les cas des thèses plagiées confrontent les universités à un dilemme de taille : protéger la réputation de ses membres OU protéger la valeur des nouvelles connaissances produites en son sein ainsi que la valeur des diplômes qu’elle octroie.  C’est pratiquement une double contrainte…

L’exposition du traitement, ou l’absence de traitement, des thèses plagiées par les établissements universitaires a joué un rôle dans le fait que Valérie Pécresse, ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, France a confié à la philosophe Claudine Tiercelin, professeur au Collège de France, une mission sur l’éthique et la déontologie universitaires.  La ministre attend d’ici la rentrée des propositions visant à garantir éthique et transparence à toutes les étapes de la carrière des enseignants-chercheurs, qu’il s’agisse de leur recrutement et de leurs promotions, du fonctionnement des équipes dirigeantes, du problème du plagiat accru par l’usage d’Internet, ou encore des risques de conflit d’intérêts.

 

MISE À JOUR (16 mai 2012)

Le nouveau président de l’Université de Lille 2, présentera des excuses à Mme Bévière pour les 7 ans de délai.  L’Université de Lille 2 a finalement retiré au plagiaire son titre de docteur le 29 novembre 2010, une décision que le plagiaire a porté en appel.

Sources

Darde,  Jean-Noël, « TROP D’ÉTHIQUE TUE L’ÉTHIQUE – l’Université Lille 2 et une thèse TGV : jamais écrite, mal lue », Archéologie du copier-coller (consulté le 22 juin 2011)

Dolbeau, Céline, « Plagiat universitaire : interview de M. Darde (Blog Archéologie du copier-coller », IP > S, Association pour le droit de la cération intellectuelle. 21/06/2011

Communiqué de presse de la ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, 30 mars 2011, France

Dix ans de galère pour faire reconnaître une “copié/collé”.  Le Monde.  3 mai 2012, p. 17

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Sonia Morin

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