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Cri de ralliement pour défendre plus activement les sciences humaines

Depuis quelques années, de nombreuses nouvelles que nous vous rapportons évoquent différentes attaques indirectes, mais aussi plus directes à l’endroit des sciences humaines et des lettres (humanities).  Le plus souvent, on les oppose aux disciplines scientifiques (STEM, pour Science, Technology, Engineering, Mathématiques ou Médecine, c’est selon) pour (supposé) manque de débouchés et d’utilité.

De façon générale, les principales causes de ces attaques/ critiques/ remises en question – telles qu’identifiées par les chercheurs en sciences humaines – sont la bureaucratisation et la marchandisation de l’université: “It’s clear that the situation for many academics in non-Stem subjects has become untenable, the exigencies of working within the new, market-oriented university system stripping so much of what was good and useful from the academic life.” (Preston, 2015)

Les intellectuels oeuvrant dans les sciences humaines et les lettres tendent à réagir avec les outils qu’ils connaissent le mieux: ils publient des textes pour dénoncer ces attaques et justifier l’existence de leurs champs d’intervention.

“There are now a number of books and articles that focus on the value of the humanities. Websites have been set up to defend and promote the discipline and expose the misapprehensions and misrepresentations of the critics. The discipline and its subjects are more accurately portrayed as innovative, forward thinking and progressive and known for producing graduates who are highly skilled and ideally suited, not necessarily to a specific vocational route, but to a range of employments as diverse as the jobs’ market itself. ” (Mayall, 2016)

On en a aussi souvent contre cette opposition jugée artificielle entre les sciences “dures” et “molles”.  Ces textes insistent souvent sur l’importance des sciences humaines dans un monde où les avancées scientifiques et technologiques nous obligent de plus en plus souvent à évaluer l’impact éthique, économique, sociologique, historique, etc. de nos choix:

“Science and medicine and engineering are indispensable, practical disciplines that get things done, transforming the human world and its relationship to nature. But the humanities are disciplines for deciding what to do, for evaluating which ends should be pursued, assessing which projects are humane ….” (Hay, 2016)

Ici, on croit que les gouvernements qui cherchent à diminuer leurs dépenses en formation supérieure ont avantage à maintenir ce climat de confrontation:

““There is a divide-and-conquer strategy, whether it’s conscious or not, in which politicians are setting the humanities and the sciences against each other, competing for funding, competing for esteem, when in fact we’re on the same side. They are creating a zero-sum game where they say ‘resources are limited and we’re only going to give them to the sciences’. My answer to that is look at China. They’ve spent the past 30 years investing almost exclusively in the sciences and now they’re having to send their students over here to learn how to be creative, actually making announcements that as a nation they’ve lost creativity.” (Sarah Churchwell, citée dans Preston, 2015)

Ce nouvel argument quant aux besoins de la Chine et des pays asiatiques de mieux se doter en matière de sciences humaines devient aussi de plus en plus populaire:

“‘[N]ations such as China and Singapore, which previously ignored the humanities, are now aggressively promoting them, because they have concluded that the cultivation of the imagination through the study of literature, film, and other arts is essential to fostering creativity and innovation …’ (Nussbaum, citée dans Hay, 2016)

Par ailleurs, on reproche à la classe politique occidentale de ne pas assez reconnaître qu’elle provient elle-même des sciences humaines et de ne pas permettre le même accès à ces disciplines pour la génération montante:

““Virtually every cabinet minister has a humanities degree,” she said. “And I think there’s something quite sinister about it: they get their leadership positions after studying the humanities and then they tell us that what we need is a nation of technocrats. If you look at the vast majority of world leaders, you’ll find that they’ve got humanities degrees. Angela Merkel is the only one who’s a scientist. The ruling elite have humanities degrees because they can do critical thinking, they can test premises, they can think outside the box, they can problem-solve, they can communicate, they don’t have linear, one-solution models with which to approach the world. You won’t solve the problems of religious fundamentalism with a science experiment.” (Sarah Churchwell, citée dans Preston, 2015)

Helen Small, auteure et professeure de littérature anglaise au Pembroke College d’Oxford, met néanmoins le doigt sur un obstacle de taille à cette stratégie de la dénonciation par textes.  Ils ne sont pas lus par les décideurs. Par conséquent, on prêche aux convertis:

“…[T]he kind of calmer, cooler defence that I’m trying to promote has a place in the debate. My sense is that anger and defensiveness does not play very well with politicians, and that’s partly the audience I wanted to address – Whitehall mandarins as well as academics. Because if you write only for academics, you’re preaching to the converted. It risks becoming special pleading very quickly if you keep telling academics how beleaguered they are. We have privileges, after all, we have a degree of employment protection that others in the arts would kill for. The politician who comes to academia from dealing with other areas that receive public funding that have received much harder hits than we have… We have to be very careful how we play this one, or we’ll find ourselves the targets of much harsher cuts in the next budget.” (Helen Small, cité dans Preston, 2015)

C’est dans ce contexte qu’apparaît un texte de Iain Hay, qui est le Matthew Flinders Distinguished Professor of Geography à la Flinders University d’Adelaide et ancien Australian Discipline Scholar for the Arts, Social Sciences and Humanities.  Hay s’adresse directement à ses collègues.  Il s’emploie bien sûr à recenser les diverses attaques dont nous avons parlé et les principales forces des lettres et sciences humaines.  Cependant, il estime qu’il faudra un effort particulier pour rétablir le balancier.  Pour lui, la défense de ces disciplines fait désormais partie intégrante de la tâche d’un professeur dans ces filières.

It is vital to visit and extol the virtues of the humanities, but given the utilitarian and ideological assaults described earlier in this paper, more hardnosed action is required for their defence. And developing that defence is another of the roles of contemporary humanists. The resurgence of the humanities might come with efforts to promote them, but as the American Academy of Arts and Sciences has rightly observed, it is unlikely to occur without effort. What particular effort is required? What practical strategies might be pursued? (Hay, 2016)

Hay suggère une liste de six types d’action que les universitaires des lettres et sciences humaines devraient mener pour rétablir la bonne réputation de leurs disciplines:

  1. Afin d’en finir avec l’opposition artificielle avec les sciences et de former des intellectuels plus complets, les cours et les diplômes universitaires de sciences et de sciences humaines devraient être plus intégrés.  Cela pourrait se faire par l’ajout de mineures, de cours complémentaires ou même obligatoires.
  2. Les chercheurs en sciences humaines doivent travailler (publiquement) à influencer les politiques publiques. Hay identifie plusieurs problématiques (air et eau de qualité, alimentation, santé, énergie et accessibilité à l’éducation, revenus adéquats, perte de vie privée, droits des animaux, mort dans la dignité) tout en convenant qu’il existe de nombreuses autres possibilités d’intervention.
  3. Il semble important de réunir individuellement et collectivement des données qualitatives et quantitatives en lien avec les succès et l’utilité des sciences humaines. L’objectif étant de développer des campagnes de relations publiques dynamiques en soutien aux sciences humaines, tant aux niveaux local, national qu’international.
  4. Plutôt que de se tenir à distance des médias turbulents (unruly), les universitaires en sciences humaines et leurs institutions d’attache devraient cultiver de bonnes relations avec les journalistes et chercher à donner de la visibilité aux découvertes, réflexions et interprétations que permettent les sciences humaines, que ce soit dans les médias, au moyen de conférences publiques ou autre.
  5. Les universitaires (provenant aussi bien des sciences humaines que des sciences pures et appliquées), les parents et les administrateurs doivent travailler à rebâtir des perceptions et des messages positifs à propos des sciences humaines dans les conversations quotidiennes, dans les communications avec les étudiants, les diplômés et dans les échanges avec leurs collègues.
  6. Enfin, il faudrait que les chercheurs en sciences humaines travaillent à ce que soit réévaluées les politiques et procédures universitaires de manière à mieux correspondre au travail et aux pratiques des sciences humaines.  L’exemple donné ici est celui bien connu de la reconnaissance en recherche basée sur les pratiques de la recherche en sciences dures, alors que la recherche en sciences humaines ne peut fonctionner selon les mêmes critères d’impact ou de nombre de publications.

Sources:

Hay, Iain, “Defending letters: a pragmatic response to assaults on the humanities“, Journal of Higher Education Policy and Management, 16 juin 2016

Mayall, David, “Why are the humanities always under fire? We need them more than ever“, Times Higher Education, 8 juillet 2016

Preston, Alex, “The war against humanities at Britain’s universities“, The Observer

Reisz, Matthew, “Humanities must stick up for themselves, insists scholar“, Times Higher Education, 21 août 2016

 

 

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Jean-Sébastien Dubé

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